Cela faisait trois jours qu'il n'avait plus revu Améthyste. Trois jours qu'il se sentait vide. C'était à peine s'il pensait à respirer... La dernière scène qu'il avait vécue tournait et retournait en boucle dans son esprit, l'obsédant jours et nuits et l'empêchant de se concentrer sur quoi que ce fut d'autre. Et à chaque fois qu'il revoyait la journaliste s'enfuir, il revivant la douleur qu'il avait ressenti et qui l'habitait depuis. Il était perdu. Aurait-il dû la retenir ? Sur le coup, il avait été trop interloqué pour faire le moindre mouvement. Ensuite, il avait bien pensé à retourner la voir, comme il l'avait déjà fait, à son bureau ou même chez elle... Mais... Il avait peur. Peur de se voir rejeté ou d'avoir à essuyer une regard voire même des remarques méprisantes ou juste haineuses. Bien sûr au fond de lui, il ne cessait de se répéter que la jeune fille n'était pas comme ça... Mais son appréhension l'empêchait de réfléchir et de prendre une décision.

Alors il restait ainsi, amorphe indécis, et il se maudissait d'être si faible. Pourquoi ne pouvait-il pas se lever et aller lui rendre visite ? Pourquoi fallait-il qu'il soit si lâche, au point de préférer se terrer dans sa bibliothèque que d'affronter la seule fille qu'il ait jamais aimé ? C'était affligeant... Et terriblement rageant. Tous les jours il prenait avec lui le petit panier -à présent vide- que la brune avait laissé derrière la dernière fois, avec le vain espoir qu'elle revienne et qu'il pourrait lui rendre. Peut-être espérait-il aussi qu'en le prenant avec lui, ça la ferait venir... C'était idiot. Mais il était prêt à se raccrocher à n'importe quoi, même à des chimères.

Alors ce jour là ne fit pas exception à la règle. Avant de partir, il attrapa le récipient en osier et se dirigea mollement vers son lieu de travail. Il était devenu complètement improductif. Lui qui avait toujours aimé ce qu'il faisait, à présent il avait beau lire trente fois la même page d'un livre il était incapable d'en faire le résumé. Il avait honte. Il n'était plus bon à rien... Comme s'il avait déjà été bon à quelque chose d'ailleurs. N'importe quoi... Finalement sans Améthyste il n'avait même plus besoin d'exister... Sa vie qu'elle avait peinte était redevenue noire et blanche, et tout lui semblait terne et sans goût.

En plus, la jeune fille le poursuivait. Il la voyait partout, et chaque fois son cœur faisait un bond dans sa poitrine avant de retomber, déçu. Il la voyait en rêve, dans les livres, dans les demoiselles qu'il croisait... Partout. Aussi, quand il leva les yeux à ce moment là crut-il se tromper. Non, ça ne pouvait pas être elle... Mais quelque part il savait que si. Il la sentait. Il savait que c'était elle. Et il se figea en la reconnaissant. Elle était accompagnée d'un homme avec un charisme évident. Le genre beau et séducteur comme il ne le serait jamais. Et elle avait une tête étrange... De toute évidence, elle n'était pas ravie d'être ici. L'homme la tirait presque derrière lui. Et il n'aimait pas ça. D'où est-ce qu'on pouvait violenter Améthyste ? D'ailleurs en règle générale, personne ne devait s'en prendre à une femme ! Et surtout pas à sa journaliste.

La revoir le chamboulait complètement. Il était heureux. Immensément heureux. Il avait l'impression de respirer à nouveau. De voir de nouveau. De vivre de nouveau. Elle était là... Mais il craignait la suite aussi. Maintenant qu'elle était près de lui, il refusait de la laisser repartir sans s'expliquer. Il fallait qu'il lui dise qu'il l'aime, au moins... Il n'aurait pas de regrets de cette façon. Il allait se lever pour aller lui parler quand il se figea. Non. Impossible. Mais si. L'inconnu l'embrassait. Il embrassait Améthsyte ! Et elle n'était pas d'accord, c'était flagrant ! Comment osait-il ?! Son sang ne fit qu'un tour. D'un bond, il fut sur ses pieds, se mettant debout si brusquement que sa chaise alla s'écraser sur le sol. Il saisit sa baguette, la pointa sur le grossier intrus. Il n'avait pas prit la peine de réfléchir à une formule que déjà un sort s'échappait de sa baguette pour aller frapper celui qu'il visait. Ce dernier fit un vol plané instantané avant de s'écraser sur une des étagères derrière lui, renversant au passage les livres qu'elle contenant sur la tête de l'homme. Il n'eut pas une seule pensée désolée pour lui. En fait, à peine fut-il séparée de la brune qu'il se précipita vers elle, oubliant presque les trois derniers jours et ses appréhensions, trop inquiet pour elle pour se soucier du reste.

-Améthyste ! Ça va ? Il ne t'a rien fait ?

Ce ne fut que lorsqu'elle posa ses prunelles caramel sur lui qu'il se souvint de ce qui s'était passé. Toute ses peurs revinrent alors au galop, mais il avait déjà pris sa décision. Pas question de fuir.

-Pourquoi tu ne revenais pas ? Demanda-t-il tristement, alors qu'il redoutait la réponse. Tu m'as manquée... La bibliothèque faisait vide sans toi...

Il avait choisi de lui parler en étant le plus sincère possible, car il avait du mal à s'exprimer, alors il devait s faire comprendre coûte que coûte.

Morgan sentit un poids quitter ses épaules en voyant le hochement de tête affirmatif de la jeune fille. Elle n'avait rien... Un intense soulagement lui traversa le corps et il eut presque envie de la prendre dans ses bras tant il était heureux de la voir. Il se retint cependant. Il ne voulait pas qu'elle prenne de nouveau la fuite... Même si cette fois ci, il était prêt à la poursuivre jusqu'au bout du monde pour la rattraper. Elle avait surprise de la voir. Elle avait même l'air surprise par sa question. Est-ce qu'il était étrange de s'inquiéter quand un homme embrassait une femme qui ne voulait manifestement pas se retrouver dans ses bras ? A moins qu'Améthyste ait été là volontairement...

A cette pensée, son cœur eut un raté. Et si elle était amoureuse de cet homme ? Et il lui avait jeté un sort ! Mais il refusait au fond de lui d'envisager la possibilité qu'elle fusse amoureuse de cet inconnu. Non, ce n'était pas possible. Il voulait croire qu'elle lui en aurait parlé, au moins un peu... Il se creusa la tête mais ne se souvint pas d'un moment où elle aurait évoqué un homme. Pourtant il se souvenait de la moindre des conversations qu'il avait eu avec elle, c'était donc qu'elle n'était pas amoureuse de lui. Heureusement... il ne se le serait pas pardonné sinon. Et son cœur aurait craqué aussi....

Il fut brutalement ramené à la réalité par l'affirmation de la brune. Mais qu'est-ce qu'elle racontait ?! Son visage se décomposa. C'était étrange de sentir sa face, ordinairement si inexpressive, d'animer un peu. Il sentait ses yeux yeux s'écarquiller un peu devant cette aberration. Il la fixa un instant, incapable de parler tant il était sidéré par ce qu'elle pensait. Elle croyait réellement ne rien signifier pour lui ? Alors tout le temps qu'ils avaient passé ensemble ne voulait rien dire pour elle ? Pensait-elle qu'il était le genre de personne à parler avec des gens qu'il n'appréciait pas ? Et puis quand il avait été la cherché à la Gazette... Elle avait compris l'effort qu'il avait fait juste pour elle, il l'avait vu, il l'avait senti. Pourquoi aurait-il fait une chose pareille si elle n'avait pas compté un minimum pour elle ? Comment pouvait-elle affirmer une chose telle que celle là alors... Alors qu'elle était toute sa vie ! Qu'elle avait tant fait pour lui ! Et qu'elle s'était fait sa place jusqu'à son cœur figé ! Dès qu'il perçut ses sens revenir, les mots se bousculèrent vers la sortie. Il voulait dire tout à la fois, si bien que tout sortit sans qu'il ait eu le temps de faire un tri.

-Quoi ? Mais non ! Améthyste, c'est faux ! Je ne me fiche pas de toi, au contraire ! Améthyste, je t'aime !

Il lui fallu quelques secondes pour réaliser ce qu'il venait de dire, et lorsque ses paroles parvinrent à son cerveau, il sentit ses joues se colorer de rouge. Mais il ne détourna pas le regard pour autant. Après tout, c'était la vérité, il l'aimait. Et même si elle ne partageait pas ses sentiments, au moins elle saurait ce que lui ressentait pour elle... Il laissa ses yeux fichés dans les siens. Il n'avait pas honte de son amour, et il souhaitait qu'elle comprenne qu'il était parfaitement sérieux. Non, il n'en avait pas rien à faire d'elle. C'était même tout l'inverse. Elle était tout son monde.

Le cœur battant, Morgan ne lâchait pas des yeux la jeune fille qu'il aimait. Il lui avait dit la vérité et livré le fond de sa pensée, et il ne le regrettait pas, mais comment allait-elle réagir à ça ? Apparemment elle ne s'y était pas attendu... Et si elle le repoussait ? Il ne s'y était pas prit de la plus romantique des manières... Et puis, il n'était pas quelqu'un d'assez bien pour elle... Il n'avait rien pour lui, aucun talent, rien pour le mettre en valeur... Il jouait un peu de violon de temps en temps, mais c'était tout... Et encore. Les mélodies qu'il produisait étaient bien loin de celui des professionnels. Il n'avait même pas de passé, il ne pouvait pas lui raconter d'anecdotes de son enfances ou se remémorer avec nostalgie des moments de son adolescence... Il n'était pas spécialement intelligent ni fort non plus. Au moins il n'était pas pauvre ni laid mais tout de même...

Si sa déclaration la choquait trop et qu'elle décidait de s'en aller... L'archiviste ne se le pardonnerait pas. Elle tout ce à quoi il tenait. Le reste lui importait peu, mais elle... C'était tout ce à quoi sa vie se résumait désormais. Il ne supporterait pas son absence... Déjà, ne pas l'avoir vu pendant ces quelques jours l'avait profondément meurtri. Elle lui avait terriblement manqué... Aussi quand elle évoqua leur dernière rencontre se figea-t-il. Il s'était douté que c'était à cause de ce qu'il s'était passé qu'elle n'était plus venue mais il ne pensait pas que ça la travaillait à ce point... « tu n'as rien fait » Il fronça les sourcils et réfléchit. Elle devait parler de son baiser... Il rougit en se souvenant de ce moment. Oui, c'était exact, il n'avait rien fait... Mais c'était la première fois qu'il embrassait quelqu'un et il avait ressenti tant de choses à la fois qu'il n'avait pas su comment réagir... Sur le coup, il avait été paralysé. Ce baiser avait réveillé quelque chose en lui... Un écho lointain, comme si son corps avait su comment faire et avait voulu continuer, mais que son esprit le lui avait interdit parce que lui était encore novice en la question... Il se demanda si dans son passé, il avait embrassé des gens. Au vu de sa réaction, sûrement... Et puis par dessus cette surprise de découvrir qu'il connaissait cette sensation, il y avait eu une joie extrême. Améthyste l'avait embrassé, lui ! Et puis bien sûr, il était resté médusé après cette constatation. Elle l'embrassait. Elle l'embrassait ! Il y avait de quoi être surpris...

Et puis, avant qu'il n'ait eu le temps de se remettre de tout ça, la sensation de chaleur douce contre ses lèvres était partie, et Améthyste avait disparue. Et il s'était retrouvé seul. Encore. Il aurait voulu lui expliquer les raisons de cette absence de réaction, mais à peine avait-il ouvert la bouche que la journaliste le pris de court en prononçant des mots qui lui firent l'effet d'une douche froide. Ou plutôt chaude. Parce qu'ils lui réchauffèrent le cœur plus sûrement que n'importe quel sortilège de chaleur...

Elle l'aimait. Elle l'avait dit... Et elle le pensait. Les joues un peu rouges mais le regard sincère, Morgan la trouva plus adorable, plus mignonne et plus belle que jamais. Il avait envie, comme souvent lorsqu'il était près d'elle, de la serrer contre lui, de lui caresser les cheveux et de l'embrasser... Sauf que cette fois il n'avait aucune raison de se retenir. Et savoir ça le rendait heureux... Heureux, tellement heureux ! Jamais avant il n'avait éprouvé un tel bonheur, qui menaçait presque de le faire pleurer de joie. Alors tout doucement, il fit un pas vers elle, brisant la courte distance qui les séparait, passa ses mains autour de ses fines hanches et se pencha vers elle, humant au passage avec délice l'odeur de ses cheveux. Puis seulement, il s'autorisa à déposer sa bouche contre la sienne, avec toute la tendresse qu'il possédait.

-Tu es celle qui fait vivre mon monde Améthyste... Sans toi il n'aurait plus de centre... Et plus rien n'aurait de goût. Tu as mis des couleurs dans ma vie. Tu as gravé ton sourire sur mon cœur... Je t'aime... Tu représentes tout pour moi. Alors s'il-te-plaît... Même si c'est égoïste... Ne... Ne t'éloigne plus jamais de moi...

Il passa délicatement une main sur sa joue, reprit possession de ses lèvres et, hésitant, il glissa sa langue dans l'ouverture humide et tiède de la jeune fille. Cette sensation était si agréable qu'il la serra davantage contre lui, pour la sentir plus près de sa peau. Elle avait un petit goût de caramel... C'était satiné et sucré, et il ne se décolla qu'à contre cœur pour reprendre sa respiration. Et, en posant ses yeux sur elle, pour la première fois depuis ce moment où il s'était réveillé seul dans une ruelle, il su que quoi qu'il ferait, il y aurait toujours quelqu'un à ses côtés... Et que cette personne serait celle qu'il aimait par dessus tout.

Pour la première fois depuis qu'elle était partie précipitamment de la bibliothèque, Morgan se sentait en paix. Serein. Et à sa place surtout. Tout le reste du monde avait disparu. Les murs, les gens, tout. Il avait eu peur de ne pas embrasser correctement, mais manifestement il n'y avait pas de raisons. Soit c'était que son corps se souvenait de la manière de faire -et penser qu'il avait déjà embrassé une fille et qu'il ne se rappelait pas de son visage l’affligeait- soit c'était tellement intuitif qu'il n'avait pas besoin d'apprendre comment faire. Ou sinon c'était Améthyste qui le guidait. Toujours était-il qu'au moins il ne se débrouillait pas trop mal.

Elle éloigna un peu son visage du sien afin de pouvoir le regarder dans les yeux et l'archiviste se sentit fondre. A chaque fois qu'elle lui disait qu'elle l'aimait, une décharge de plaisir lui parcourait le corps et une vague de bonheur l'envahissait. Il avait encore du mal à y croire. Qu'une fille comme elle soit tombé amoureuse de lui...

-Je suis heureux, lui murmura-t-il à l'oreille. Tu me rends heureux.

Elle disait qu'elle était contente quand il l'était, et c'était pareil pour lui. Lui aussi avait l'impression que tant qu'elle sourirait, tout irait bien. Et puis, il ne la trouvait pas égoïste, bien au contraire. Elle avait très bien le droit de vouloir qu'il obtienne le bonheur grâce à elle, après tout, c'était le cas.
Ce n'est qu'à ce moment là que Morgan se rendit compte que les gens qu'il y avait auparavant avaient tous désertés la place et que dehors, la nuit était tombée. De toute évidence, Flora, la directrice, était déjà partie et avait fermé le bâtiment... ça arrivait souvent qu'elle parte avant lui, ils avaient donc conclu, très rapidement après qu'il ait commencé à travailler, qu'il garderait une clef avec lui pour s'en aller à l'heure qu'il voulait, puisqu'il restait généralement plus longtemps que ce qu'il aurait dû à son travail.

-On devrait y aller... Dit-il un peu à contrecœur à la jeune fille.

Il aurait voulu rester plus longtemps, mais il ne voulait pas abuser de la confiance de sa supérieure. Après tout, elle lui avait donné les clef pour qu'il reste faire ce pour quoi il était payé... Pourtant il ne souhaitait pas non plus partir et se séparer d'elle. Il savait qu'ils allaient se revoir, elle lui avait promis qu'elle ne l'abandonnerait plus et il croyait à toutes ses paroles. Lui eut-elle dit que sauter d'un pont faisait pousser des ailes qu'il n'aurait même pas mis ses mots en doute. Si elle le disait, alors c'était vrai. Et si ça ne l'était pas, il les feraient devenir vrais pour elle...

-Est ce que tu voudrais... Venir manger chez moi ? Je n'ai pas envie de te quitter...

Il espéra qu'il avait bien rangé son appartement en partant. Morgan était très ordonné et tout était toujours bien en ordre, mais ordinairement il s'en fichait... Là il se mettait à se souvenir frénétiquement de l'état de ses pièces quand il était sortit de chez lui le matin. Il y avait peut-être un journal qui traînait sur le canapé... Mais ce n'était pas très grave. Sinon il avait bien rangé la table et fait la vaisselle, et ses habits étaient tous soigneusement pliés dans son placard. Non, rien ne devait clocher. Parfait.

Il lui pris délicatement la main en lui souriant, ferma le bâtiment et ils s'éloignèrent ensemble, engloutis par la nuit.