Mon nom est Hope Melusine Coughlin, et je suis agent du ministère au service des usages abusifs de la magie. C'est un peu étrange de commencer par ça non ? Je vais juste... Reprendre depuis le début, ça sera mieux... Je crois...
Je suis née dans une petite propriété de l’île d’Anglesey dans la campagne à l’extérieur de la ville d’Holyhead, dans le comté de Gwynedd, au Pays de Galles. Ma mère est française, elle s'appelle Athénaïs Aliénor de Fontenay - si elle n'a pas pris le nom d'un nouvel époux, à vrai dire je n'en sais rien - et elle a commencé sa scolarité magique à Beaux-Bâtons, mais dès sa troisième année, ses parents ayant déménagés à Londres, elle a intégré Poudlard, où elle n'a pas particulièrement brillé, pas plus que dans l'académie française auparavant. A vrai dire, elle s'en fichait un peu, et plus encore quand elle y a rencontré mon père, Clydwyn Coughlin, de deux ans plus âgé qu’elle. Elle n'a jamais été une sorcière accomplie, ayant tout arrêté pour nous mettre au monde mon frère et moi, à l’aube de sa dix-septième année. Je me suis toujours un peu demandé pourquoi ils avaient eu ces idées saugrenues pour nos prénoms, parce que clairement Honor Lusignan et Hope Melusine, ça n'est pas forcément très facile à porter. Et je crois qu'en même que je m'en sors mieux que mon jumeau. Enfin en ce qui concerne les prénoms.
Je crois qu'à leurs yeux, je n'aurais pas dû naître. Mon frère aurait dû être seul, l'héritier, le porteur du nom. Quelque chose comme ça. Je crois qu'ils avaient tous les deux une idée assez précise de la place qu'un homme et une femme doivent avoir dans la société, dans une famille, dans un couple aussi. Une vision que je n'ai jamais partagée. Chez nous, c'était une atmosphère assez étrange. Maman n’utilisait que peu voire pas du tout la magie, alors que Papa ne cessait d’en parler en rentrant et d’en faire la démonstration afin que son cher fils puisse un jour être un sorcier digne de ce nom. Et quoi de mieux pour un enfant que de voir les choses avant de s’y essayer lui-même ? Mon frère et moi, on se regardait souvent, un peu perdus entre nos deux parents, surtout lorsqu’ils évoquaient notre futur. Papa ne jurait que par Poudlard, l'école qui lui enseignerait assurément tout ce que Honor devait savoir pour être un bon sorcier. Il ne prenait jamais la peine d’énoncer un quelconque avenir me concernant, j'étais seconde née - à quelques minutes, mais passons - et j'étais de sexe féminin. Je crois qu'il imaginait assez que comme ma mère, je serais mère à mon tour avant même la fin de ma scolarité. Je ne lui ai jamais posé la question, cela dit, et je n'ai pas vraiment l'intention de la poser un jour. Quant à ma mère, justement, et bien... elle haussait simplement les épaules, affirmait évasivement qu'il adviendrait ce qu’il devrait advenir… que le destin était écrit et que ça ne servait à rien de se creuser les méninges à l’avance. Entre un père qui n'en avait juste rien à faire, et une mère attentiste, qui, si elle me témoignait de l’affection, n’a jamais pris parti pour moi, j'ai assez vite appris à me faire oublier, puisque de toute façon, j'étais quantité négligeable.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, cela étant, mes relations avec mon frère étaient tout sauf difficiles. Sans bien comprendre ce que nos parents attendaient de nous, on s’était juré d’être toujours là l’un pour l’autre. Maman nous enseignait ce qu’on devait savoir pour être en règle avec les autorités, puisque l’enseignement était obligatoire, mais on n'a jamais mis les pieds dans une école - sang-pur oblige, on n'allait pas nous mêler aux moldus voyons - si bien que la notion d'amitié m'était complètement étrangère. C'était mon frère et moi, contre le reste du monde, et c'était pour ça qu’on devait se soutenir, coûte que coûte. On était Artemis et Apollon, vous voyez ? La lune et le soleil, qui ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre, même si on devait rester éloignés d’une manière ou d’une autre. Je crois qu'on avait sept ans quand on a même mélangé nos sangs – comme si notre naissance n’avait pas suffi... Et au détriment de tout bon sang médical et hygiénique – après avoir piqué nos pouces d’une aiguille, par un torride après-midi d’été où on avait été jusqu’à la côte.
« Comme ça, on sera toujours liés l’un avec l’autre. »
C’était un vœu des plus attendrissants, mais... Je crois qu'on peut dire qu'il n'est pas resté intact malheureusement.
Quelques étés plus tard, une enveloppe nous parvenait portée par un hibou imposant aux plumes brunes. Il annonçait que nous entriions sans grande surprise à Poudlard, à la plus grande joie de notre père... pour ce qui concernait Honor au moins.
Et c'est sur le quai de King's Cross qu'on a fait sa connaissance. Kath. Une rouquine de deux ans notre aînée, aux grands yeux verts trop durs pour une enfant de son âge. Un peu ronde, elle n'avait pas vraiment l'air ravi de nous voir. Pas plus que son père à vrai dire. Sa mère s'est approchée de notre père, et moi je suis tombée des nues quand elle a pris la parole.
« Clydwyn... Ca fait une éternité... Il aura donc fallu attendre Poudlard pour que je puisse voir mon neveu et ma nièce ?
- Les choses ne vont pas toujours comme on le souhaiterait, Arianrhod, tu le sais bien... »
Je connais le regard de mon père, et je sais ce que j'y ai vu à ce moment-là : de la tendresse pour sa soeur, oui, mais aussi le mépris et le dédain pour son mari. A cet instant, pourtant, tout ce qui me trottait dans la tête, c'était ces mots : Neveu et nièce. Je n'ai pas compris pourquoi nous n'étions pas au courant, ni pourquoi il y avait ce froid entre notre oncle et notre père, mais c'est là que Honor et moi avons appris l'existence d'une nouvelle partie de notre famille, et de cette cousine, donc, à qui tout le monde demandait de nous guider pour nos premiers pas à Poudlard...
Et ça, ça n'a pas été facile tout de suite. Kath était sauvage, et moi... plutôt effacée. Au début, elle nous évitait purement et simplement. Moi, je ne parlais pas vraiment aux autres, enfin... Disons que ma tendance à penser à voix haute et à rêvasser ne date pas d'hier, et plusieurs fois, évidemment, ça m'a valu des moqueries et autres misères. C'est facile de faire trébucher une gamine qui pense à autre chose qu'à regarder où elle met les pieds, et c'est facile, aussi, de se payer sa tronche quand elle est à quatre pattes en train de ramasser les parchemins, plumes et encrier qui ont été éjectés de son sac dans le process. Je crois que c'est comme ça que Kath est intervenue pour la première fois.
« Y a d'autres moyens de se faire remarquer, Hope, et des moins ridicules, tu sais ? »
Au début, j'ai cru qu'elle aussi, elle allait se payer ma tronche, mais elle m'a aidée à ramasser mes affaires, et quand un membre de sa maison a voulu en rajouter, elle lui a « gentiment » fait comprendre qu'on touchait pas à sa famille, à moins de vouloir en subir les représailles. J'ai pas tout de suite compris ce dont elle parlait, parce qu'elle n'avait pas l'air plus dangereuse que ça, mais par la suite, j'ai su comme elle pouvait être rancunière, et que bon nombre de gars de sa maison et des autres d'ailleurs, ont appris à leurs dépends que la vengeance était un plat qui se mangeait froid, même glacé parfois la concernant, mais qu'elle n'oubliait jamais. Mais vu le regard du type à ce moment-là, clairement, il n'avait pas vraiment envie que ça arrive.
Parce que clairement, Kath n'était pas à Serpentard pour rien, Honor à Gryffondor et moi à Poufsouffle - une preuve de plus pour mon père que j'étais quantité négligeable d'ailleurs. Est-ce qu'Honor savait qu'on allait être séparés ? Juste avant la rentrée, il m'a offert ce pendentif en argent, un oval orné d’un soleil et d’une lune, et qui renfermait une photo de nous deux.
« On sera toujours ensemble, là-dessus... Et là. »
Là, c'était dans nos coeurs. Ca l'a toujours été, et ça le sera toujours. Bref. On a passé toute notre scolarité tous les trois, jamais vraiment tout le temps ensemble, jamais vraiment séparés non plus. J'étais dans mon monde, la plupart du temps, et dans mes cours ou mes livres, surtout.
« T'arrête jamais de bosser ? Ca t'arrive de lâcher ça et de t'amuser un peu ?
- Salut Kath... Bah... En fait, ça m'amuse... Tu vois, c'est un devoir sur les métamorphoses animales, donc évidemment, je parle de transfert classique, des animagi et aussi des lycans, mais je cherche aussi dans l'imaginaire moldu la vision qu'ils ont de ce genre de choses et...
- C'est ça que t'appelles s'amuser ?
- Ben je crois qu'on n'a pas tout à fait la même notion des choses là, et ça c'est pas trop mon truc... enfin c'est pas qu'il y en ait une meilleure qu'une autre, hein, c'est juste que...
- Laisse, j'ai pigé. Je te laisse à ton petit jeu, je vais jouer au mien. »
Un clin d'oeil, et elle est partie discuter avec un gars un peu plus loin. Kath avait grandi, elle s'était affinée, et clairement, elle avait très bien vu le regard des garçons changer. Moi, j'étais toujours la petite blonde binoclarde qu'elle traînait avec elle. Son boulet. Et quand elle parlait de s'amuser, je voyais très bien où elle voulait en venir, juste que ça n'était pas mon truc. Quant à Honor, il lui permettait parfois de rencontrer de nouvelles proies, il avait son cercle d'amis toujours plus important, sans grande surprise à mon sens parce qu'il a toujours été plus extraverti que moi et de loin. Et petit à petit, je le sentais s'éloigner, sans trop savoir quoi y faire. Il avait les autres rouges, il avait le Quidditch où il excellait, et les aventures qu'il organisait avec ses potes - souvent au détriment de certains verts - et moi... Moi je n'étais plus son seul entourage, et clairement plus indispensable. Et même si je lui en voulais un peu de m'abandonner, il suffisait d'une heure ensemble dans le parc, comme avant, pour que j'oublie tout le temps où j'étais seule loin de lui.
Beaucoup de choses ont changé l'été avant nos quinze ans, celui de la majorité de Kath. Elle avait réussi à nous décider à sortir avec elle, cette nuit-là, enfin Honor n'avait pas été très difficile à convaincre, mais je n'étais pas très à l'aise à l'idée de sortir en pleine nuit, en douce. Elle passait la semaine chez nous, comme elle le faisait tous les étés depuis le début de notre scolarité poudlardienne, et avait mis en avant son anniversaire tout frais.
« T'as qu'à te dire que c'est mon cadeau d'anniversaire : tu viens avec moi. Je sais que t'aimes pas trop le monde, mais juste pour une fois, tu veux bien ? »
Je crois qu'elle savait très bien que je pourrais pas le lui refuser, pas sous le prétexte de son anniversaire. C'était le soir du 12 août 2003, et j'étais tellement nerveuse à l'idée de participer à un truc censément interdit que j'ai pas tout de suite remarquer le ciel... J'aurais sans doute dû.
Sur notre petite île, les endroits pour faire la fête, comme elle disait, ça n'était pas vraiment le plus facile à trouver, mais elle avait dû se renseigner d'une manière ou d'une autre, et réussir à se faire inviter à cette fête sur la plage, à quelques kilomètres de chez nous. Il n'y avait pas énormément de monde, mais de quoi saouler un régiment assurément, et d'ailleurs, je crois que les trois quarts des personnes présentes n'ont pas ou que peu de souvenirs de ce qu'il s'est passé... Et c'est tant mieux. C'est le soir où j'ai pour la première fois touché à un verre d'alcool, et je crois que j'aurais mieux fait d'éviter. Kath et Honor ont fait... de jolies rencontres, dirons-nous, et moi j'étais un peu à l'écart, à regarder le ciel. La lune, particulièrement.
« Tiens c'est la pleine lune... Les loups-garous sont de sortie. Paraît que ça joue aussi sur les humeurs des gens, en plus des marées. Qu'il y en a qui se retrouvent surexcités et... »
Je n'étais pas seule. Un gars que je ne connaissais pas s'était assis pas très loin, et me regardait le sourire aux lèvres.
« Toi t'es vraiment bizarre. Tout le monde boit, danse, fait la fête et tu restes là à regarder la lune... et à parler toute seule. Bois un verre au moins, ça te fera une excuse pour radoter... »
Il m'en a fichu un dans les mains, que j'ai regardé les yeux ronds un instant. J'en ai senti le contenu, légèrement incommodée par les effluves qui me piquaient déjà les yeux. Il a levé le sien, et se l'est enfilé cul sec, attendant visiblement que je fasse la même chose et... me demandez pas pourquoi, mais je l'ai fait. Peut-être justement parce que pour une fois, un type m'adressait a parole. En tous les cas, c'était une mauvaise idée. Sur le coup, ça m'a juste brûlé la gorge, j'ai toussé pendant cinq minutes, le type a ri, m'a embrassée - je vous laisse imaginer ma tête parce que c'était la première fois qu'un gars posait ses lèvres sur les miennes et j'ai imaginé douze mille façons dont ça pouvait se produire, mais pas vraiment celle-là... - et je suis restée comme une andouille à le dévisager les yeux grands ouverts quand il s'est écarté légèrement de moi.
« Faut vraiment que t'apprennes à détendre, blondinette. Et ça... »
Il a viré mes lunettes, et moi je bougeais toujours pas, légèrement bloquée sur ce qu'il venait de se passer.
« C'est bien dommage, parce que ça casse complètement ton joli visage... »
Ca aurait sans doute eu plus d'impact, et d'effet positif, s'il n'avait pas ouvert des yeux ronds d'effroi l'instant d'après en regardant derrière moi. Et curieusement, je crois que je savais ce que j'allais voir avant même de poser les yeux dessus. De quoi je parlais, hein, juste avant ?
Un loup, massif, tous crocs dehors, et moi j'étais tétanisé. Lui, il s'est enfui, en me disant de fuir, sauf que j'étais réellement paralysée par la peur. Vous savez, ce moment où votre cerveau vous intime de bouger, de réagir, de sauver votre peau mais que votre corps ne semble absolument pas vouloir répondre, comme si toutes vos terminaisons nerveuses avaient été anesthésiées ? Et bien... Voilà. J'en étais là. J'ai fini par reculer, trébucher... et l'alcool me montait au cerveau, moi qui n'avais absolument pas l'habitude de ça, si bien que le curieux mélange entre lui et la trouille de ma vie détraquait complètement et ma vision et mon équilibre, je suis tombée à la renverse, et ma tête a heurté une pierre ou je ne sais trop quoi de solide. Un instant, j'ai vu les cheveux de feu de ma cousine, et la tignasse blonde de mon jumeau, j'ai vaguement aperçu quelques silhouettes s'approcher et puis... Le flou total.
Quand j'ai repris connaissance, j'étais à l'hôpital magique, pour apprendre ce qu'il s'était passé ensuite. Kath et Honor s'étaient interposés et ils avaient réussi à mettre le loup en fuite, à défaut de réellement l'arrêter. Mais Honor avait été griffé, et en gardait une balafre sur son joli visage, quant à ma cousine, elle avait été mordue. Ses jours n'étaient pas en danger, pour l'instant, ils avaient arrêté l'hemorragie, mais... La première lune à venir serait cruciale.
Et c'était ma faute. Et moi tout ce que j'avais, c'était trois points de suture à la tête. Et un lourd sentiment de culpabilité.
Quand ils se sont réveillés, j'étais à leurs côtés. Kath m'a assuré douze mille fois que non, ça n'était pas ma faute, que c'était elle qui avait voulu sortir au tout départ. Honor, lui, n'a rien dit. Il a serré ma main, mais il n'a rien dit. Et après ça, je l'ai senti plus distant, jour après jour.
La première pleine lune a été terrifiante, mais j'étais là, près de Kath. Ses parents lui avaient administré la potion tue-loup, mais par précaution, une barrière magique l'empêchait de sortir du périmètre qu'ils avaient délimité autour d'elle. Et moi j'étais à la limite, à la regarder souffrir sans rien pouvoir faire.
« Tu ne devrais pas rester là, Hope...
- Oh si... C'est pour me protéger qu'elle a été mordue, c'est le moins que je puisse faire. »
A mes yeux, ça n'était, même, rien du tout. J'ai pleuré tout du long, je l'ai entendue hurler, se débattre avec sa souffrance. J'ai prié je ne sais pas trop qui de faire en sorte qu'elle survive, et je ne sais pas si ça a servi à quoi que ce soit, mais elle a survécu, et je me suis retrouvée face à une louve noire, épuisée, allongée au sol, gémissante. Ma tante a refusé de lever le sort pour que je vienne auprès d'elle, alors je suis restée à distance, toute la nuit. Jusqu'à ce qu'elle reprenne forme humaine et que je vienne la prendre dans mes bras. Et je me suis promis que je ne la laisserai plus jamais affronter ça seule.
Alors évidemment, elle a refusé que je sois dans les parages, pour ma sécurité. Elle ne voulait pas prendre le risque de me mordre, elle. Mais s'il y a bien une chose que nous avons en commun, c'est notre entêtement. Il faut croire que c'est un héritage des Coughlin... En tout état de cause, j'ai été là, toutes les nuits de pleine lune, sous forme humaine. Puis sous forme de louve quand j'ai été capable de maîtriser l'animagie, sans toutefois me faire déclarer, au mépris des risques que ça représentait. Il était bien évidemment inconcevable que je partage sa malédiction, d'une, elle l'aurait refusé catégoriquement, de deux, je n'en avais pas réellement envie non plus, il faut bien avouer. Mais je pouvais au moins imposer ça - même si ma décision de ne pas le faire de façon officielle nous a valu encore un désaccord. Puis c'était pas comme si travailler un domaine en particulier me faisait peur. Et à partir du moment où j'ai pu me changer à mon tour, on a passé toutes les nuits de pleine lune ensemble. A défaut d'avoir encore mon frère près de moi - il ne disait rien, mais je sentais bien qu'il y avait un fossé qui s'était creusé encore davantage entre nous depuis cette nuit-là -, j'avais un lien fort avec ma cousine, et même si ça ne compensait pas complètement.
Kath a fini sa scolarité, nous on a continué la nôtre. Elle a suivi un cursus d'herboristerie et d'apothicairerie par la suite, a monté sa boutique, et s'est rapidement fait un nom. Même des gens du Ministère ont commencé à venir régulièrement la voir, et moi qui traînait assez souvent dans sa boutique, j'y ai croisé certains visages de façon récurrente, j'ai même fini par me faire remarquer par certains, pas pour mon art des potions, clairement, je suis une catastrophe ambulante dès qu'il s'agit de « cuisine », mais pour ce que je pouvais dire, sur... plein de choses. Sur des théories magiques alambiquées, sur des rites et artefacts ancestraux ou mythiques, sur des équipements et sciences moldues aussi. J'ai fini par accepter la proposition de l'un d'eux, de le rejoindre au Ministère, après avoir décroché sans trop de mal un diplôme supérieur à l'université magique en mythes et civilisations après un mémoire un peu controversé sur les créatures mythiques, où j'avais mis en parallèle les visions sorcières et moldues, et avancé que certaines créatures, légendaires même pour les sorciers, existaient sans doute réellement, quand bien même on ne se souvenait pas les avoir jamais rencontrées - tout comme les moldus ne sont pas censés connaître les elfes de maison... ou non, sorciers. Parallèlement, j'ai passé un diplôme moldu en informatique, et je suis entrée au département des usages abusifs de la magie, qui présentait finalement tout un tas d'avantage : garder un lien avec le monde non-sorcier - puisque le bureau d'à côté gérait la neutralisation des objets fabriqués par des moldus qui avaient été ensorcelés et pour être franche j'y faisais régulièrement irruption pour discuter avec les collègues et voir quelles idées saugrenues on avait encore pu avoir avec quels objets anodins à la base -, et surtout... pour pouvoir vérifier que mes petites transformations lunaires passaient bien inaperçues.
Chez Kath, j'ai revu aussi certaines personnes, dont les noms et les visages me ramenaient à l'époque de Poudlard, et pas toujours de façon positive. J'ai pas vraiment été ravie, par exemple, de tomber sur Jefferson, en débarquant dans sa boutique. Je suis restée bloquée à le dévisager un instant, et puis je me suis tournée vers ma cousine.
« Tu lui causes encore à ce con ? No offense, mais tu te conduis comme un salaud depuis Poudlard... J'ai jamais bien compris pourquoi ma cousine restait dans ton entourage, à part pour ta belle gueule... »
Et oui, c'est à ce moment-là que mon cerveau a lancé des signaux d'alerte genre « ferme-là, Hope, t'es en train de te ridiculiser » et j'ai rien trouvé de mieux à faire que m'enfuir.
« Et j'ai rien dit, je suis pas là, je vous laisse, je reviens plus tard.... »
J'ai grimacé, dépitée de moi-même comme... souvent dès qu'il s'agit d'interaction avec les autres, il faut avouer, et je suis ressortie pour aller faire un tour plus loin en me promettant de repasser voir ma cousine plus tard. Beaucoup plus tard. Qui se marrait bien de ma déconfiture, ouais, mais je dois bien avouer qu'il y avait de quoi. Non parce que techniquement, c'est vrai qu'il a une belle gueule, clairement. Mais enfin j'avais peut-être pas besoin de me rendre complètement ridicule en le sortant comme ça, trop naturellement, juste devant lui. C'était la première fois que je le revoyais depuis Poudlard, et je sais pas si moi j'ai vraiment changé - Kath me soutient que si, mais je vois pas trop bien en quoi - mais lui... bon ok, disons que si y avait pas son passif de sale gosse, je crois bien que je pourrais vraiment craquer pour son corps, mais chut. Je n'ai rien dit et vous n'avez rien entendu. Il fait partie des personnes que j'ai recroisées chez Kath un certain nombre de fois, même si à vrai dire, j'essayais plutôt de l'éviter, histoire de pas me ridiculiser davantage et ça aurait pu continuer sur ce genre de routine sauf que ça n'a pas duré.
C'était il y a quatre ans et j'étais dans mon bureau quand ils ont fait irruption dans la salle où se tenait cette fameuse réunion dont tout le service parlait depuis des semaines. Comme la plupart des employés lambda du ministère, j'ai été poussée vers la sortie, dirons-nous : mes collègues ne m'ont pas vraiment laissé le choix, et j'ai transplané avec eux. J'ai pas de don particulier pour la préscience, mais je me doutais bien que ce qu'il se passait à l'intérieur n'allait pas être beau à voir... ni ses conséquences d'ailleurs. Je suis sang-pur, et j'ai pas vraiment à m'inquiéter pour moi, tant que j'ouvre pas trop ma bouche pour m'extasier devant les prouesses moldues. Je passe sous silence mon diplôme d'informatique, et je me fais oublier, pour pas qu'on fouille trop autour de moi, qu'on vienne pas voir ce qu'il se passe les nuits de pleine lune. J'ai hésité, un temps, à partir. Mais je ne peux pas. Je ne peux plus. Plus depuis l'accident.
C'était il y a deux ans, et c'est la seule fois de sa vie où Kath a manqué sa dose de tue-loup. Ce qu'il s'est passé pour qu'elle en arrive là, je n'en ai aucune idée. Tout ce que je sais, c'est qu'elle était à court, et qu'on n'a pas eu le temps d'arriver à la boutique pour qu'elle puisse acheter et avaler la dernière dose que la transformation opérait. Elle m'avait fait promettre de me barrer si ça arrivait, parce qu'elle refusait de me blesser moi, et honte à moi, je l'ai écoutée. J'ai tenu ma promesse. Si je ne l'avais pas fait, il ne serait peut-être pas mort. Et l'autre n'aurait pas été balafré à vie. Je me suis fait un sang d'encre jusqu'au lever du jour, et la première chose que j'ai faite aux premiers rayons du soleil, ça a été de la chercher. Il y avait cet homme, chez elle, qu'elle soignait. Et ce jour-là encore, pour la première fois, je l'ai vu échouer à soigner parfaitement ce type. Que j'avais déjà aperçu au Ministère. Et quand elle m'a dit que l'autre était mort, j'ai compris pourquoi elle avait à ce point les mains qui tremblaient. Pour la première fois en plus de huit ans de lycanthropie, elle avait tué quelqu'un. Et moi, j'étais terrorisée à l'idée que cet homme ne la traîne jusqu'à Azkaban. Il n'en a rien été, à mon grand soulagement, mais Kath a dû fuir, et est toujours en fuite depuis. Des rumeurs disent que la super-herboriste qu'elle est, est partie dans le grand nord pour s'intéresser à certains champignons particulièrement résistants au froid et dont les propriétés médicinales méritent d'être étudiées de façon plus approfondie. Bon, je ne suis pas tout à fait étrangère à ces rumeurs, mais chut. Et moi... Je suis toujours au Ministère. Officiellement, je suis comme beaucoup de monde là-bas, une petite sang-pur sans prétention qui suit les directives des hautes instances et ne fait pas de vague. Officieusement, je passe autant de temps sur les tâches qui me sont assignées qu'à vérifier que rien ne filtre concernant Kath, ou moi, que rien ne remonte jusqu'au meurtre de cet homme. Qui a été mis sur le dos de la Résistance, et j'ai beau ne pas aimer ce mensonge, c'est le mieux pour nous, alors je me tais. Et pour une fois, le fait que j'aie jamais vraiment attiré le regard des gens devient un sérieux avantage...